Donald Trump n’est président des États-Unis d’Amérique que depuis deux semaines. Pourtant, son mandat ressemble déjà un long cauchemar global. Ses premières décisions, sur des questions aussi diverses que l’avortement, l’immigration, le développement d’infrastructures fossiles, la recherche sur le changement climatique, et plus récemment le « Muslim ban » donnent forme à ce qui s’annonce comme une réaction profonde – une régression de nos droits civils, sociaux, collectifs et individuels, qui pourrait prendre des nombreuses années avant d’être dépassée.

Ce texte est une tentative collective de réfléchir à ce que signifie le « Muslim ban » pour le mouvement pour la justice climatique (réflexion située en Europe, dans un cadre plutôt privilégié).

Nous vous invitons à partager vos réactions au bas de cette page – vous pouvez également vous inscrire pour participer à un séminaire en ligne avec l’équipe européenne de 350.org et plusieurs invité.e.s autour de ces réflexions qui aura lieu (en anglais) le 15 février prochain.

Contre Trump et son monde

De la Russie au Brésil, des Philippines à la Turquie, du Brexit aux sondages qui placent Marine Le Pen inexorablement en tête de la prochaine présidentielle, d’Alep aux murs de l’Europe forteresse, il est actuellement difficile de nommer une région dans laquelle les idées progressistes l’emportent.

En Europe, des dirigeant.e.s d’extrême-droite tel.le.s que Nigel Farage, Marine Le Pen, Frauke Petry et Geert Wilders s’organisent pour prendre le pouvoir – tandis que d’autres, telles Theresa May, l’ont déjà conquis. L’agenda national-populiste s’impose et constitue l’une des menaces les plus graves contre nos droits fondamentaux, sociaux comme politiques, contre la liberté d’association, la liberté religieuse, mais aussi contre, par exemple, des politiques publiques climatiques ambitieuses. Dans le même temps, l’un des conseillers de Trump peut affirmer ouvertement que « le mouvement écolo est l’une des plus grandes menaces qui pèsent sur notre liberté » sans que personne ne s’émeuve ni ne doute que ces dirigeant.e.s seront s’unir pour réprimer les principaux actrices et acteurs de ce mouvement.

Pour qui ne vit pas aux États-Unis d’Amérique, il est important de reconnaître que notre combat n’est pas uniquement contre Trump, mais contre le monde qu’il représente – un monde de haine, de guerres, d’inégalités profondes dont il n’est que le dernier avatar en date.

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Résister à Trump n’est pas synonyme de combattre contre les États-Unis ou contre un dirigeant qui serait un pur produit du contexte politique local. C’est une lutte mondiale.

Face à l’intersectionnalité inversée

Le fait que Trump soit tout à la fois raciste, sexiste, misogyne, islamophobe, climato-sceptique, etc. n’est pas surprenant. Sa ligne politique articule et relie différente formes d’oppression, de domination et de violence, et recoupent des éléments ayant tout à la fois trait au genre, à la question raciale, aux classes sociales, à la religion, à l’orientation sexuelle, aux handicaps physiques et mentaux. En tant que tel, Trump incarne une sorte d’intersectionnalité « inversée ».
Nous ne serons pas conséquent pas en mesure de faire face à Trump et à son monde si nous ne construisons pas un mouvement qui s’attaque tout à la fois au racisme, au sexisme, à l’islamophobie, à l’homophobie, ou encore au climato-scepticisme.

Cela ne signifie bien entendu pas que nous devons cesser de nous concentrer sur la cause climatique. Nous devons en revanche nous essayer à construire un mouvement qui recherche de manière pro-active les intersections entre différents mouvements, pour faire en sorte que nos succès et nos victoires servent à chacun.e d’entre nous – plutôt qu’aux plus privilégié.e.s. Comme le suggère Naomi Klein :

« Il est absolument clair que nous ne construirons pas la puissance nécessaire pour gagner sans placer la question de la justice – en particulier autour de la question raciale, mais aussi du genre et des questions économiques – au cœur de nos politiques bas-carbone ».

Il est possible de débuter ce travail autour d’une question toute simple : nos revendications contribuent-elles à plus de justice pour celles et ceux qui souffrent le plus de cette « intersectionnalité inversée » ? Si la réponse à cette question est non, alors nous devons transformer nos revendications – en France, ces questions prennent toutes leur accuité autour de la lutte contre les violences policières ou encore les formes institutionnalisées de racisme et d’islamophobie.

 

Ramener la lutte à la maison

Notre capacité à résister sera d’autant plus forte que nous saurons commencer dans des cercles de proximité, dans nos quartiers, autour de ce qui fait commun. C’est la seule voie opérante pour construire des intersections profondes et fortes. La réaction en cours va bien entendu modifier profondèment les relations internationales, les flux et les échanges internationaux. Les formes locales d’organisation, d’échange et de solidarité pourraient alors s’avérer être de puissants moyens de résister aux atteintes globales à nos droits et de construire la transition vers un monde plus juste et de passer à l’offensive plutôt que de rester sur des stratégies de défense : nous devons bien entendu défendre nos droits, mais nous battre pour les étendre et les généraliser à tou.te.s. Dans un tel contexte, des actes de solidarité locale s’apparentent à des formes de résistance globale.

Une manière de procéder pourrait être d’identifier des lieux (des territoires, des quartiers, des espaces communs) dans lesquels s’entrecroisent plusieurs formes de domination – nous savons, par exemple, que les personnes les plus affectées par la pollution atmosphérique sont le plus souvent des personnes de couleur, qui vivent dans des quartier populaires. Plus généralement, nous avons de plus en plus de preuves de l’existence de ce qu’on peut nommer « racisme environnemental » (une question que le mouvement Black Lives Matter a contribué à soulever au sein du mouvement pour le climat). Ces espaces pourraient être des lieux à partir des quels nous saisir des questions climatiques, sociales et raciales d’un même mouvement.

Faire preuve d’intentionalité plutôt que de solidarité passive

Nous ne devons pour autant pas abandonner l’horizon de la solidarité internationale.

Trop souvent, nous avons tendance à nous laisser aller à une approche passive de la solidarité : nous nous engageons par exemple à veiller à ce qu’il n’y ait pas de place pour le racisme, le sexisme, l’islamophobie, l’homophobie, dans notre mouvement comme dans nos campagnes. Mais nous ne sommes pas proactives et proactifs dans la construction d’alliance avec les groupes et collectifs qui luttent contre le racisme, le sexisme, l’islamophobie ou l’homophobie – parce que nous manquons de temps parce que nous pensons que les liens entre ces causes et ces questions sont trop distants ou trop abstraits.

Bien sûr, on peut mentionner de notables exceptions : la Marche mondiale pour le climat, ou encore les récentes Marches des femmes sont de bons exemples de mobilisations dont les organisatrices et les organisteurs sont parvenu.e.s à articuler différentes causes, différentes histoires et différentes expériences. Nous avons bien plus encore à apprendre de la manière dont les peuples natifs et indigènes et les représentant.e.s de communautés impactées ont contribué à construire le mouvement pour le climat.

Reste que nous avons tendance à laisser la responsabilité de protéger les droits fondamentaux aux organisations spécialisées dans la défense des droits humains (alors même que ces organisations ont commencé de leur côté à intégrer la question des crimes environnementaux et climatiques à leurs revendications). Nous devons donc nous remettre en question et faire preuve de volontarisme, pour faire en sorte que notre mouvement et nos campagnes contribuent effectivement à la lutte contre le racisme, le sexisme, l’islamophobie et l’homophobie. Après tout, nous savons que les droits fondamentaux sont globaux et indivisibles, de sorte qu’une atteinte contre l’un de ces droits est une atteinte à l’ensemble de ces droits – dont le droit fondamental à un avenir préservé du chaos climatique.

Nous devons également apprendre à sortir de notre zone de confort dans les alliances que nous construisons. La campagne de désinvestissement des combustibles fossiles, que porte 350.org, est un bonne exemple de ce qui reste, à ce stade, une opportunité manquée. Nous avons passé énormément de temps à développer nos liens avec les groupes et organisations chrétiens, en particulier après la parution de l’Encyclique Laudato Si. Au moment où elle était publiée, des personnalités musulmanes de premier plan se réunissaient à Istanbul et adoptaient une déclaration sur le changement climatique qui va plus loin, à de nombreux égards, que l’Encyclique – elle appelle par exemple explicitement à mettre fin aux investissements dans le secteur des combustibles fossiles. Il est donc plus que temps de combler ce manque ! Ce qui aura des conséquences positives pour nos campagnes de désinvestissements, tout en nous permettant d’être plus pertinent.e.s quand il s’agira de construire des formes réelles de solidarité.

Résister, refuser de coopérer et construire des solidarités réelles

Nous devrions donc nous organiser pour:

  • (co)construire une campagne pro-active et résolue de résistance aux attaques contre les migrant.e.s, les réfugié.e.s, les musulman.e.s et les autres groupes affectés par les forces politiques Trump-esque en Europe ;
  • renforcer les dynamiques de solidarité envers les individus et les groupes affecté.e.s par les politiques de haine dans nos campagnes, notre fonctionnement, notre comminication, nos actions, notre plaidoyer ;
  • nous accorder sur, puis construire et diffuser une vision forte et transformatrice de ce que serait un climat sûr dans un avenir juste, qui laissent toute leur place à nos luttes liées les unes aux autres et contribuer à mobiliser chacun.e d’entre nous en ce sens;

Ce souci doit irriguer l’ensemble de notre travail et de nos stratégies – qu’il s’agisse de la résistance, de la non-coopération ou de la construction des alternatives (en l’occurrence de la construction de formes de solidarité réelle).

 

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Résister :

La question de la résistance semble la plus évidente : il s’agit de bloquer le national-populisme et l’extrêmisme de droite à sa source.
Mais si nous voulons résister à Trump et à son monde, nous devons agir partout où ils se manifestent. Le « Muslim ban » n’est pas tombé du ciel. Il s’est construit sur de nombreuses autres atteintes à la liberté fondamentale de circuler – auxquelles nous devons résister là où elles se déploient (Frontex en Europe, le populisme d’extrême-droite, le national-populisme, le racisme institutionnel, etc.).

Pour autant, la résistance ne se joue pas seulement dans les rues : nous pouvons par exemple pousser les autorités locales à adopter des arrêtés qui s’opposent et remettent en cause le racisme environnemental.
Surtout, nous ne devrions pas percevoir ceci comme « une chose de plus » à faire, qui nous empêcherait de nous concentrer sur ce que nous devons faire en priorité. Nous nous opposons en effet à un ensemble cohérent – nous devons construire une cohérence équivalente dans ce pour quoi nous nous mobilisons.

Celles et ceux contre lesquel.le.s nous nous battons souhaitent extraire toutes les ressources naturelles, en particulier les combustibles fossiles, et supprimer toutes les barrières abstraites (les lois) comme physiques (la distance et les frontières) qui empêchent leur libre circulation (c’est-à-dire leur libre commercialisation). Dans le même temps, ils et elles souhaitent restreinte la liberté de circulation individuelle à son maximum – quand bien même cela implique de laisser des milliers de personnes mourir en mer Méditerranée, ou encore de décider, au mépris de textes tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme, de cibler certaines catégories de population.

Nous souhaitons l’exact inverse – parce que nous savons que nous ne pourrons jamais construire un monde juste si les celles et ceux qui l’habitent ne sont pas libres de circuler. De ce point de vue, nous devons reconnaître qu’il ne s’agit pas de défendre un droit, mais de l’étendre à tou.te.s – ou, comme le dit notre collègue Hoda Baraka : « le changement climatique ne connaît aucune frontière – nous non plus ».

Refuser de coopérer

Ce recul global ne pourra se prolonger et s’étendre sans notre consentement (passif). De la même manière que nous avons montré qu’il était possible de s’attaquer à une industrie aussi puissante que l’industrie fossile en refusant de coopérer avec elle (le désinvestissement étant construit autour de l’affirmation que le changement climatique ne se fera ni en autre nom, ni avec notre argent), nous devrions identifier les ressors de notre coopération (passive), déterminante pour que de telles politiques puissent être mises en œuvre, puis nous organiser pour cesser de coopérer (et devenir ingouvernables, comme le dit Kali Akuno, membre de l’organisation Grassroots Global Justice Alliance, en multipliant les espaces d’auto-organisation et d’autonomie).
Certain.e.s ont déjà appeler à boycotter Uber (après que la compagnie ait refusé de rejoindre la grève des taxis qui contribuaient à bloquer les aéroports pour protester contre le « Muslim ban »). Identifier les acteurs et actrices économiques qui contribuent à mettre en œuvre l’agenda national-populiste puis les boycotter apparaît en effet comme une stratégie possible.
Construire des formes de solidarité réelle

Nous ne pouvons continuer à travailler dans des silos (ou des bulles, comme nous les appelons désormais). Les briser ne se fera sans doute pas du jour au lendemain – mais commencer à le faire est aussi simple qu’organiser des rencontres avec des groupes affectés directement par les politiques de Trump et de ses avatars, pour échanger sur les manières de poursuivre, en assumant qu’il n’y aura pas nécessairement de lien immédiat avec la question du changement climatique. Mais avec un engagement sincère à construire des relations de long-terme, basées sur la confiance et la compréhension réciproque – autrement dit en commençant par faire preuve de solidarité là où elle est nécessaire, même si ça n’est pas lié au climat.

À vous

Nous sommes preneuses et preneurs de vos réactions. Et nous vous invitons à participer à notre séminaire en ligne qui aura lieu le 15 février prochain, à 19h30 (en anglais).

 

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