L’Accord de Paris définit un engagement fort de la communauté internationale : maintenir le réchauffement climatique « bien en deçà » des 2°C et au plus près des 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels. Les 2°C ne sont donc pas un seuil « plancher », mais bien un plafond à ne pas dépasser. Et nous devons atteindre le pic mondial des émissions de gaz à effet de serre au plus tard en 2020. Nous devons donc agir sans tarder.

Le compte n’y est pas : les États continuent de tergiverser. Depuis plus de 20 ans la communauté internationale se réunit pour négocier un accord “universel” portant sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Plusieurs accords ont d’ailleurs déjà été conclus : l’accord de Paris, mais aussi le protocole de Kyoto, juridiquement contraignant. Pourtant, sur la même période, les émissions ont augmenté de… 60%. Soit la plus forte hausse historique. Mis bout à bout, les engagements étatiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre nous inscrivent dans la trajectoire d’un réchauffement supérieur à 3°C.

Les gisements actuellement exploités de charbon, de gaz et de pétrole suffisent, à eux seuls, à nous faire dépasser les 2°C de réchauffement. Le CO2 contenu dans ces gisements dépasse en effet déjà notre « budget carbone ».

Nous devons donc passer à l’action, avant qu’il ne soit trop tard et refuser de participer à la destruction de la planète et du climat. C’est là qu’intervient le désinvestissement, autour d’une idée simple, claire et puissante : l’argent doit être investi dans les solutions, non dans le problème. Nous devons agir sur les structures économiques, financières et politiques qui fondent notre dépendance aux fossiles : la destruction du climat ne se fera pas en notre nom, pas avec notre argent !

C’est le sens de l’appel lancé par plus de 80 économistes quelques jours avant l’ouverture du One Planet Summit, convoqué par Emmanuel Macron le 12 décembre 2017 et par le mouvement de désinvestissement depuis ces 7 dernières années.

Pourtant les institutions publiques continuent d’apporter un soutien financier massif aux énergies fossiles. Ce soutien prend des formes diverses : exonérations fiscales, subventions directes, prêts ou dons versés au titre de l’aide au développement, garantie financière, portefeuille d’actions et d’obligations, investissements massifs à travers la Caisse des Dépôts et Consignation.

L’industrie des énergies fossiles est déterminée à extraire toujours plus de combustibles fossiles et continuent à injecter des milliards afin de trouver de nouveaux gisements plutôt que de soutenir une transition massive et rapide vers les énergies renouvelables.

Mais les gisements de charbon, de gaz et de pétrole actuellement exploités ou en passe de l’être représentent… 5 fois plus d’émissions potentielles que ce que nous pouvons nous permettre d’émettre si nous voulons maintenir le réchauffement sous la barre des 2°C.
Le constat est donc clair : s’entêter à investir dans ces industries fossilisées nous mène droit au chaos climatique. Pour garantir un climat de paix, nous devons mettre un terme à l’ère des énergies fossiles, dès maintenant !

Pourtant, les grandes entreprises du secteur ne perçoivent pas ces gisements comme une véritable bombe climatique. Elles y voient plutôt un tas d’or… Et le fonctionnement des marchés financiers ne peut que les pousser à aller plus loin dans l’exploration et l’exploitation de nouveaux gisements : leur valeur boursière est directement dépendante de la taille des réserves de charbon, de gaz et de pétrole dont elles détiennent les permis d’exploitation.

La solution est donc de les assécher à la source : faire en sorte que l’argent public, mais aussi l’épargne et tous les autres types d’investissement, n’aille plus soutenir ce secteur.

Les dérèglements climatiques ne doivent rien à la fatalité. Aussi, nous ne sommes pas uniquement en mesure d’identifier ses victimes – qui se comptent malheureusement par millions. Nous pouvons également en désigner les responsables, au premier rang desquels les grands acteurs du secteur des combustibles fossiles.
L’ensemble des acteurs (individuels comme collectifs, publics comme privés) qui investissent dans le secteur fossile tirent un profit indécent de la destruction du climat. Nos banques, nos institutions et nos gouvernements ne cessent de soutenir ce secteur, dont nous savons pourtant à quel point il est néfaste pour le climat et la planète. Ces investissements contribuent à soutenir l’activité des entreprises du secteur – financièrement bien entendu, mais aussi socialement : détenir des actions et des obligations émises par des entreprises charbonnières, gazières ou pétrolières revient de fait à reconnaître que leur activité est légitime, autrement dit qu’il est acceptable, climatiquement, socialement et politiquement de s’enrichir en détruisant le climat. Ainsi, le désinvestissement est un acte éthique et politique.

Le problème que pose l’industrie fossile ne se limite pas aux conséquences dramatiques de son activité. Les grandes entreprises du secteur ne se contentent en effet pas de s’enrichir en détruisant le climat. Elles se comportent comme si elles ignoraient les conséquences de leurs activités. Pire : elles mentent parfois sciemment.

Nous devons nous poser cette question : est-il acceptable moralement que nous continuions à apporter notre soutien, direct ou indirect, aux acteurs de ce secteur par nos investissements ou les investissements de nos institutions ? 500 institutions ont répondu non à cette question et ont déjà tranché en faveur du désinvestissement.
Nous devons affronter l’industrie fossile directement afin de créer les conditions politiques et sociales pour que les Etats n’aient pas d’autre choix que de s’engager réellement dans la transition.
Comme première étape, nous devons donc arrêter de les soutenir en leur donnant notre argent.
Le désinvestissement vise donc à briser cette dynamique de légitimation – tout en contribuant à financer les solutions renouvelables.

Les investissements dans le secteur des combustibles fossiles ont longtemps été considérés comme des placements sûrs. Il n’en est en réalité rien : la fuite en avant dans l’extractivisme a formé une véritable “bulle carbone”. Des analyses aussi sérieux que HSBC ou encore Kepler-Chevreux estiment aujourd’hui que des milliers… de milliards d’actifs liés aux fossiles doivent être considérés comme des “actifs bloqués” – autrement dit comme des actifs dont la valeur est, à terme, nulle.
80 % des combustibles fossiles doivent rester dans le sol. La valorisation boursière des compagnies charbonnières, gazières et pétrolières est directement liée à la taille des gisements qu’elles exploitent. Toute action publique en faveur du climat ambitieuse implique donc de geler 80% des gisements sur lesquels est fondée la valeur des compagnies fossiles…

20416754789_3e3b72c791_zLes grands groupes bancaires et les investisseurs institutionnels agissent sur les marchés financiers comme si notre dépendance aux fossiles ne devait jamais cesser. Ils restent ainsi sourds à la réalité – alors même que certains investisseurs commencent à prendre conscience du risque.

Mais le risque ne se “limite” pas à l’hypothèse d’une action climatique ambitieuse. Kepler-Chevreux estime en effet que les actifs bloqués deviendront réalité y compris sans législation climatique contraignante, et malgré un possible renchérissement du prix du baril de pétrole : les investissements qui doivent être réalisés dans le secteur pour exploiter de nouveaux gisements sont trop importants pour qu’il redevienne rentable.

Les compagnies charbonnières, gazières et pétrolières bénéficient de subventions publiques massives. Les subventions directes perçues par l’industrie fossile en 2012 s’élevaient ainsi à 775 milliards de dollars, soit cinq fois plus que le montant des subventions allouées aux renouvelables.

Courant 2012, le FMI a publié une enquête sur l’ensemble des subventions perçues par le secteur. En retenant une définition très large de ce qu’est une subvention (soutiens directs, soutiens indirects – notamment avantages fiscaux -, mais aussi l’ensemble des coûts non-répercutés sur le prix – comme les conséquences de la pollution atmosphérique sur la santé, ou encore les coûts liés aux conséquences du réchaufffement), le résultat de l’enquête a de quoi donner le vertige.
D’après le FMI, les subventions au secteur des combustibles fossiles s’élèvent en effet à… 5340 milliards de dollars par an. Soit 168 000 dollars par seconde.

Les investissements ne sont pas neutres. Détenir des actions et obligations émises par des entreprises du secteur des combustibles fossiles, c’est soutenir le dérèglement du climat. Donc de notre avenir.
Les stratégies d’investissement ne sont donc pas sans conséquences. Les choix qui les sous-tendent sont autant politiques que financiers.
Est-il acceptable que des décisions qui ont des conséquences dramatiques sur des centaines de millions de vies pendant des dizaines de milliers d’années, soient prises en dehors de toute conversation démocratique préalable ? Et qu’elles échappent à toute forme de contrôle ? Est-il envisageable de laisser les investisseurs agir sans les contraindre à prendre en compte le risque climatique ? À l’évidence, non.

En outre, la question de la démocratie ne se limite pas à celle du contrôle. Elle est pleinement tournée vers le futur que nous voulons construire. Le désinvestissement n’est, en effet, qu’une étape initiale, qui vise à alerter sur le chaos climatique qui nous attend si nous ne changeons pas. La question du réinvestissement est donc essentielle et nous renvoie directement à l’avenir que nous cherchons à construire et à la manière dont nous entendons y parvenir.

Il est important de bloquer les projets d’infrastructures pour les combustibles fossiles. Les centrales au charbon provoquent l’asthme et rejettent du mercure dans l’atmosphère et dans l’eau ; le liquide de fracturation peut contaminer les eaux souterraines et menacer la santé de la population ; les oléoducs peuvent fuir ; etc. Nous pouvons et nous devons soutenir les personnes qui mènent la lutte pour arrêter les projets climaticides – d’autant que ces actions engrangent les succès : contre l’oléoduc Keystone XL, contre les gaz de schistes dans de nombreux pays, contre les forages en haute mer en arctique, etc. Ces actions de blocage sont au cœur de la semaine mondiale d’action « Breakfree – Libérons-nous des combustibles fossiles« .

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Mais nous attaquer à un pipeline, une centrale au charbon ou un puits de fracturation à la fois ne suffit pas. Nous devons, d’un même mouvement, desserrer l’étreinte des compagnies du charbon, du pétrole et du gaz sur nos gouvernements et sur les marchés financiers, de façon à avoir une chance de vivre sur une planète raisonnablement similaire à celle que nous connaissons aujourd’hui. Il est nécessaire d’attaquer le mal à la racine, autrement dit l’industrie des combustibles fossiles elle-même, en veillant à agir sur des facteurs qu’elle est à même de comprendre, comme le cours des actions.

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