22 mars 2019, Paris – Ce matin, cinq figurants arborant le visage du Président-directeur général de Total, Patrick Pouyanné, ont franchi le cordon de sécurité pour s’infiltrer dans le grand salon des appartements Napoléon III au musée du Louvre. Les membres du collectif d’artivisme Libérons le Louvre ont alors pris la pose, en toute quiétude, dans le décor fastueux des drapés, dorures et lustres monumentaux, puis se sont évaporés dans les galeries du musée.
Ce lieu situé au cœur du Louvre, siège du pouvoir et de sa mise en scène, a été choisi par le collectif pour dénoncer la reconduction de l’entreprise pétrolière et gazière Total dans la liste des mécènes du musée.
Comment Le Louvre peut-il coopérer financièrement depuis plus de 20 ans et offrir en échange la noblesse de sa mission culturelle et son rayonnement international à une entreprise dont la stratégie met en péril les chances qu’il nous reste de pouvoir enrayer les pires effets du dérèglement climatique ? C’est la question que pose à la direction du Louvre, 350.org et le collectif Libérons le Louvre à travers ses performances artistiques et une campagne de mobilisation depuis janvier 2017 (1). Le Président-directeur du musée, Jean-Luc Martinez, garde le silence.
« Le musée du Louvre, et d’autres hauts lieux culturels continuent d’être associés à Total, l’une des principales responsables du dérèglement climatique. La direction du musée n’entend-t’elle pas les cris de la jeunesse, pour laquelle elle à la mission de préserver les oeuvres, dont le musée a la garde ? Cette inaction de la part du Louvre n’est plus recevable alors que le temps est compté », explique Claire, membre du collectif.
En février 2019, Total a annoncé une prévision de hausse de sa production pétrolière de plus de 9% pour 2019, dépassant ainsi le seuil symbolique de trois millions de barils par jour. Le mois dernier encore, Patrick Pouyanné célébrait ainsi dans la presse la découverte d’un nouveau gisement au large de l’Afrique du Sud, dont il affirme qu’il pourrait représenter près d’1 milliard de barils d’hydrocarbures. Ce nouveau projet en haute-mer serait fatal pour les écosystèmes, l’économie locale et les peuples à travers le monde qui subissent déjà les pires impacts du dérèglement climatique, comme c’est déjà le cas en Afrique du Sud.
Ahmed Mokgopo, chargé de campagne en Afrique du Sud avec 350.org réagit : « Le musée du Louvre offre la possibilité à Total de continuer à donner la priorité à ses propres objectifs économiques sans être inquiétée sur la manière dont elle les atteint. Une multinationale comme Total peut coloniser, corrompre, polluer etc. Notre mouvement force les institutions à prendre la mesure des responsabilités qui leur incombes, et à mettre fin à cette forme de complicité. »
Désormais, les PDG de Total répondent à des entretiens dans la presse écrite, se rendent sur les plateaux télévisés, et multiplie les partenariats symboliques. S’attaquer au capital politique et à la légitimité de Total est crucial. L’accompagnement du gouvernement et des institutions françaises lui permettent encore aujourd’hui de décrocher des contrats, de protéger ses investissements ou d’orienter les politiques publiques.
Pour Alain Deneault, philosophe et auteur du livre De quoi Total est-elle la somme
«Total n’est pas seulement une entreprise. Il s’agit, comme bien des multinationales, d’une autorité souveraine de type privé résolument tournée vers son actionnariat mondialisé. En France, le groupe Total bénéficie du soutien formel de l’État, qu’il soumet à un important lobbying, et auquel il se substitue souvent dans les champs diplomatique, universitaire, social et culturel, bien que ses activités aient de moins en moins à voir avec l’Hexagone. Son pouvoir est outrancier. »
C’est cette même inaction des institutions qui est dénoncée par les deux millions de français signataires de la pétition « L’affaire du siècle » intimant à l’Etat de respecter ses engagements climatiques. Celle-ci qui fait que la mobilisation en faveur de l’action climatique est exponentielle en Francedepuis septembre. C’est celle-ci qui pousse aujourd’hui quinze maires de communes françaises à menacer Total de poursuite en justice.
C’est celle-ci et les citoyens mobilisés qui ont résolu le Van Gogh Museum à Amsterdam, la Tate de Londres, le Mauritshuis et le Museon à la Hague, le Festival international d’Edinburgh à prendre leur responsabilité et rompre leurs liens avec l’industrie des combustibles fossiles.
Le musée du Louvre, haut garant d’un patrimoine qui est commun à l’humanité, doit prendre position à son tour et participer tant qu’il est encore temps au réveil de nos consciences.
credit photo, Romain Nicolas
(1) Libérons le Louvre : https://zerofossile.org/louvre